Sécurisez les recours contre les pénalités !

Importante décision du Conseil d’État – 24 novembre 2025 (n° 497438)

Le délai de 2 mois prévu par les CCAG pour déposer un mémoire en réclamation en cas de “naissance du différend” ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de contester des pénalités de retard.

Concrètement :

  • Le titulaire doit bien contester les pénalités auprès de l’acheteur avant d’aller devant le juge (demande préalable).
  • Il doit attendre une décision de rejet ou le silence de l’acheteur.
  • Mais l’acheteur ne peut plus opposer au titulaire que les pénalités seraient “définitives” faute d’avoir réagi dans les 2 mois prévus par les CCAG.

Une clarification importante qui sécurise les recours contre les pénalités !

Des prérogatives de l’administrateur judiciaire qui s’imposent aux établissements bancaires 

Le cabinet HDLA-Avocats a obtenu gain de cause devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Nantes dans une affaire opposant la société X – placée en redressement judiciaire – à la Banque Y.

Par ordonnance du 13 mai 2025, le juge a rappelé avec force que les établissements bancaires doivent faire preuve d’une vigilance accrue lorsqu’un de leurs clients fait l’objet d’une procédure collective. 

Au cas particulier, bien que l’administrateur judiciaire ait expressément révoqué les autorisations de prélèvements automatiques, la banque a poursuivi des débits au profit de son propre organisme de crédit-bail.

Le tribunal a jugé que la banque avait commis une faute en procédant à des prélèvements sans autorisation préalable, en violation des articles L. 133-6 et suivants du Code monétaire et financier. 

Elle a été condamnée à restituer à sa cliente la somme indûment prélevée de 29.884,23 €, ainsi qu’à payer 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.

Cette décision rappelle que le respect des prérogatives de l’administrateur judiciaire est impératif, notamment en matière de fonctionnement des comptes bancaires. Les banques doivent se conformer strictement aux instructions de l’administrateur dès sa désignation.

Cette décision n’est, à ce stade, pas définitive. Elle n’en demeure pas moins un beau rappel des règles qui prévalent lors de l’ouverture d’une procédure collective 

La recevabilité des preuves illicites ou déloyales dans un procès civil

Assemblée plénière, 22 décembre 2023, pourvoi n° 20-20.648

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation vient de rendre un arrêt fondamental en matière de droit processuel en admettant, au visa de l’article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du code de procédure civile, une possible recevabilité des preuves illicites ou déloyales devant les juridictions civiles, telles que « les preuves recueillies à l’insu de la personne ou obtenues par une manœuvre ou un stratagème« .

La haute juridiction affirme ainsi qu’il « y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi« .

En principe, cette recevabilité ne sera donc pas automatique puisque la Cour de cassation invite les juridictions civiles à exercer un contrôle de proportionnalité avant d’admettre la recevabilité des preuves illicites ou déloyales produites par les parties au procès civil.

Cet arrêt rapproche ainsi la procédure civile de la procédure pénale, la recevabilité des preuves illicites ou déloyales produites par des particuliers étant admise devant les juridictions pénales depuis plusieurs décennies.

Les juridictions spécialisées en matière de pratiques restrictives de concurrence

Com. 18 octobre 2023 pourvoi n°21-15.378

Tous les praticiens du droit des affaires sont unanimes : les règles relatives à la compétence spécialisée de certaines juridictions en matière de pratiques restrictives de concurrence constituent une véritable énigme !

Par un arrêt en date du 18 octobre 2023[1], dont on ne peut que saluer la pédagogie et la clarté, la chambre commerciale de la Cour de cassation vient opérer un revirement de jurisprudence concernant la procédure applicable aux litiges relatifs aux pratiques restrictives de concurrence régies par les articles L.442-1 et suivants du code de commerce.

En effet, le code de commerce institue une compétence exclusive au profit de certaines juridictions spécialisées de première instance pour connaître de ces litiges.

L’article L.442-4 III du code de commerce dispose ainsi que « les litiges relatifs à l’application des articles L.442-1, L.442-2, L.442-3, L.442-7 et L.442-8 sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret », et dont la liste est donnée à l’article D.442-3 du code de commerce, à savoir les tribunaux de commerce et tribunaux judiciaires de Paris, Bordeaux, Lyon, Rennes, Tourcoing, Nancy, Marseille, Fort de France. S’agissant des recours exercés contre les décisions rendues par ces juridictions, que ce soit au fond ou en référé, ce dernier article attribue une compétence exclusive à la Cour d’appel de Paris.

Sur le fondement de ces dispositions, la jurisprudence complexe de la Cour de cassation avait entrainé une multiplication des sinistres, car de nombreux justiciables voyaient leur action déclarée irrecevable en appel, et se trouvaient souvent dans l’incapacité de former un nouveau recours du fait de l’expiration du délai d’appel.

L’arrêt du 18 octobre 2023 rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence notable, qui devrait considérablement limiter les risques de sinistre à l’avenir et sécuriser les recours des justiciables.

1.  Les juridictions spécialisées disposaient jusqu’à présent un pouvoir juridictionnel exclusif, sanctionné par une fin de non-recevoir

La Cour de cassation estimait depuis une dizaine d’années que les règles de spécialisation prévues à l’article D.442-3 du code de commerce en matière de pratiques restrictives de concurrence instituaient un régime de pouvoir juridictionnel et non une compétence d’attribution exclusive au profit de ces juridictions. Or, en procédure civile, contrairement au défaut de compétence, le défaut de pouvoir juridictionnel est sanctionné par une fin de non-recevoir, le juge étant dépourvu du pouvoir de juger les demandes qui lui sont soumises[2].   

Ainsi, la Cour de cassation jugeait de longue date que « la cour d’appel de Paris est seule investie du pouvoir de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6 du [code de commerce] », et que « l’inobservation de ces textes est sanctionnée par une fin de non-recevoir » [3]. Dès lors qu’un appel était formé à l’encontre d’une décision rendue dans un litige relatif à l’application de l’article L. 442-6 du code de commerce devant une autre juridiction que la Cour d’appel de Paris, la cour d’appel saisie était invitée à relever d’office l’irrecevabilité de l’appel[4].

La Cour de cassation ménageait toutefois cette sanction en décidant, en 2017, qu’il appartenait aux autres cours d’appel, lorsqu’elles étaient saisies d’un appel contre un jugement rendu par une juridiction non spécialisée ayant statué à tort sur des demandes relatives à l’application de l’article L. 442-6 du code de commerce, de ne pas déclarer l’appel irrecevable au motif qu’il aurait dû être porté devant le cour d’appel de Paris, mais au contraire de le déclarer recevable et de relever d’office l’excès de pouvoir commis par la juridiction de première instance[5].

De même la chambre commerciale de la Cour de cassation jugeait que, lorsque les dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce étaient invoquées pour la première fois en cause d’appel devant une autre juridiction que celle de Paris, la demande fondée sur ces dispositions était irrecevable, mais le recours formé devant cette cour d’appel restait valable et l’autorisait à statuer sur les demandes fondées sur le droit commun[6]. Dans cette hypothèse en effet, la juridiction de première instance n’était pas une juridiction spécialisée et n’avait pas statué à torts sur des demandes relevant de la compétence des juridictions spécialisées, de telle sorte que la Cour d’appel saisie conservait son pouvoir, sauf pour connaitre des demandes fondées pour la première fois en cause d’appel sur le fondement de l’article L.442-6 du code de commerce, que seule la Cour d’appel de Paris pouvait connaître.

Cette élaboration jurisprudentielle, que la Cour de cassation juge aujourd’hui, avec du recul, comme laborieuse, donnait lieu à des solutions procédurales rigoureuses, voire injustes pour les plaideurs qui, à la suite d’une erreur dans le choix de la juridiction saisie, se heurtaient à l’irrecevabilité de leurs demandes ou de leur recours et se trouvaient parfois dans l’impossibilité de régulariser la situation en raison de la prescription ou de l’expiration du délai de recours.

Ce risque est écarté par l’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 18 octobre 2023.

2.  Les juridictions spécialisées bénéficient à l’avenir d’une compétence exclusive, sanctionnée par une exception d’incompétence

Aux termes de l’arrêt du 18 octobre 2023, la chambre commerciale a reconnu que « cette construction jurisprudentielle complexe, […] ne correspond pas à la terminologie des articles D442-3 et D442-4 du code de commerce, devenus depuis, respectivement, les articles D442-2 et D442-3 de ce code » et a opérer un revirement de jurisprudence, jugeant « Qu’il convient en conséquence de juger désormais que la règle découlant de l’application combinée des articles L442-6 III, devenu L442-4 III et D442-3 devenu D442-2 du code de commerce, désignant les seules juridictions indiquées par ce dernier texte pour connaître de l’application des dispositions du I et du II de l’article L442-6 précité […] institue une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir ».

La Cour de cassation en déduit, dans l’affaire qui lui été soumise, et à l’occasion de laquelle le tribunal de commerce de Saint-Etienne avait déclaré irrecevable une demande reconventionnelle fondée sur l’article L442-6 (ancien) du code de commerce, que « […] Le moyen selon lequel une partie conteste, en application des articles […] L.442-4 III et D.442-3 précités, la compétence d’une juridiction à connaître d’une demande reconventionnelle fondée sur l’article […] L442-1 du code de commerce, constitue, non pas une fin de non-recevoir mais, une exception d’incompétence qui ne rend pas la demande irrecevable […] ».

Désormais, la règle est limpide et protectrice pour les plaideurs puisque la sanction attachée à une action engagée devant une juridiction non spécialisée au sens de l’article L.442-4 III du code de commerce n’est plus une fin de non-recevoir mais simplement l’incompétence de ladite juridiction.

Il en résulte que la juridiction non spécialisée, saisie à tort, aura le choix entre surseoir à statuer, en attendant que la juridiction spécialisée se prononce sur le point spécifique qui lui est dévolu, et renvoyer l’affaire pour le tout devant cette juridiction spécialisée, mais aussi et surtout, que les actions engagées à torts conserveront leurs effets.  

Une incertitude subsiste toutefois concernant la recevabilité de l’appel qui ne serait pas porté devant la Cour d’appel de Paris, comme l’impose l’article D.442-2 du code de commerce. En effet, en application d’une jurisprudence constante, la sanction classique de l’appel exercé en violation des dispositions d’ordre public du code de l’organisation judiciaire est l’irrecevabilité de l’appel.

Ce revirement de jurisprudence, applicable aux instances en cours, est en tout cas bienvenu en ce qu’il répond aux exigences de bonne administration de la justice.


[1] Com. 18 octobre 2023 pourvoi n°21-15.378

[2] Cass. 2e civ., 15 avr. 2021, n° 19-20.281

[3] Com. 24 septembre 2013, pourvoi n°12.21-089

[4] Com. 31 mars 2015, pourvoi n°14-10.016

[5] Com. 29 mars 2017, pourvoi n°15-15.337

[6] Com. 7 octobre 2014, pourvoi n°13-21.086

Débat sur l’appréciation du caractère anormalement bas d’une offre

Nombre d’acheteurs ont été obligés de réagir rapidement pour lutter contre le virus et fournir à grande vitesse aux services matériels et équipements en passant des marchés sans publicité ni mise en concurrence dans le cadre de l’urgence impérieuse. Me David Hasday, avocat associé au cabinet HDLA, leur recommande de mettre de côté des pièces justificatives toujours bienvenues en cas de contrôle.

Avec la survenance de la pandémie du COVID-19, une situation inédite s’est présentée à tous à laquelle il a fallu faire face. La commande publique en fut affectée au premier chef, s’agissant des achats hospitaliers, car il a fallu répondre dans l’instant à l’approvisionnement d’équipements et de produits médicaux dans une proportion de surcroît démultipliée en passant parfois des marchés sans publicité ni mise en concurrence préalables. Mais l’exigence d’actions et de réponses immédiates ne justifie pas automatiquement l’« urgence » permettant de s’affranchir du cadre légal et règlementaire de la commande publique. En cas de contrôle a posteriori, il est important de conserver des éléments permettant de justifier ce type d’achats de « gré à gré » .

Le contrôle des comptes et la régularité de la gestion de l’établissement public hospitalier par la Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes, que le directeur de l’Agence régionale de santé peut déclencher face à une situation budgétaire dégradée (art. L. 6143-3 & L. 6143-3-1 du code de la santé publique), peuvent déboucher sur des observations et des recommandations. En cas de fautes de gestion, des poursuites contre le comptable public sont possibles devant la Cour des comptes ou contre l’ordonnateur devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). Toutefois, il est dérogé à la responsabilité pécuniaire et personnelle des comptables publics pour les actes pour lesquels est établi un lien de causalité entre la crise sanitaire et le manquement constaté pour la période du 12 mars au 10 août 2020 (art. 1er de l’ordonnance n°2020-326 du 25 mars 2020 relative à la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics modifiée par l’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire ; voir également : art. 60-V de la loi n° 63-156 du 23 février 1963.)

Quels éléments justificatifs à conserver pour les achats sans publicité ni mise en concurrence?

Principe : mis à part les marchés inférieurs à 40.000 € H.T, seule une situation d’« urgence impérieuse », qui nécessite une réponse immédiate, permet de passer de tels marchés dès lors qu’elle résulte de phénomènes extérieurs (i.e. : non imputables à l’acheteur), irrésistibles et radicalement imprévisibles qui rendent impossible le respect des délais minimaux requis par les procédures formalisées ou, selon nous également, les règles et délais « allégés » des MAPA, même si le texte ne le précise plus aujourd’hui.

Pour la Commission européenne, la crise sanitaire relève bien d’une urgence impérieuse : « Il ne fait aucun doute qu’il faut satisfaire le plus rapidement possible aux besoins immédiats des hôpitaux et des établissements de santé (fournitures, services et travaux publics) ».

En pratique : il doit d’abord être justifié que les marchés ou accords-cadres en cours d’exécution ne permettaient pas de répondre à la demande d’achat en raison d’une quantité disponible insuffisante de produits compte tenu d’un besoin au volume aussi imprévisible que démultiplié et de délais de fourniture trop longs ; que leur suspension aura été prononcée afin de pouvoir s’approvisionner ailleurs (notamment en application de l’ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19).

Justification ensuite qu’il s’agissait exclusivement de répondre à des besoins immédiats strictement nécessaires pour faire face à la situation d’urgence ; que les délais de consultation, même réduits, ne pouvaient y répondre ; que la soudaineté du besoin n’a pu être anticipé dans les achats programmés ; que la hausse mondiale de la demande d’approvisionnement, la rareté de l’offre et la pénurie de certains équipements et produits n’ont pas permis une mise en concurrence et nécessitent de réaliser l’achat sans délai.